J'ai rencontré Hervé Hamon une fois, dans son bureau, au rez-de-chaussée des éditions du Seuil. L'homme est aimable, souriant, à l'écoute de son interlocuteur. Pas avare de ses conseils. Une discussion d'une heure dont je garde un très agréable souvenir. Fasciné par l'océan, c'est un fin connaisseur du système éducatif. Et un curieux, au sens noble. Son dernier livre sur le système éducatif vaut qu'on s'y arrête.
Présentation de l'éditeur
Voici un livre sans équivalent. Tout juste vingt
ans après Tant qu'il y aura des profs, qui a fait date, permettant aux
Français de voir leur école toute nue, Hervé Hamon est revenu sur ses
pas, visitant de la cave au grenier nos lycée et collèges publics. Il a
retrouvé ses anciens témoins, rencontré ceux qui les ont remplacés,
suivi les cours au fond des classes, écouté tout le monde, élèves,
profs, experts français et étrangers. Sur ses traces, on va de
surprises en surprises. La banlieue, c'est pire, mais le collège, c'est
mieux. L'enseignement professionnel, c'était un parking à chômeurs et,
aujourd'hui, c'est là que ça bouge. Quant aux lycées, ils produisent
deux fois plus de bacheliers, mais ils les discriminent. Cette école
n'est pas juste. Elle n'est pas juste avec les plus démunis. Elle n'est
pas juste avec les filles - qui sont pourtant les meilleures élèves.
Elle oriente mal et hypocritement. Elle crée, sous la pression de
parents consommateurs, des zones de relégation. Les Français exigent le
meilleur établissement pour leur rejeton. Mais surtout pas pour celui
du voisin. La question n'est pas de conserver ou non " le collège
unique ". Car il n'est pas unique, le collège. La question n'est pas
d'inscrire ou non " l'élève au cœur du système ". Il ne s'y trouve
guère, l'élève. La question est de sortir de cette hypocrisie, de
former mieux les jeunes, de gagner en qualité. Car une école plus
exigeante, plus performante, est une école plus équitable. Ce n'est pas
d'abord une question d'argent mais de volonté politique et de
renoncement aux corporatismes. Un livre de faits. Un livre de terrain,
qui se lit comme un récit de voyage.
L'auteur
Hervé Hamon a enseigné la philosophie pendant cinq ans avant de se consacrer à l'écriture et à l'édition. Auteur de grandes enquêtes, avec Patrick Rotman, il s'est ensuite tourné vers des travaux plus littéraires. Il a tenu pendant douze ans une chronique au Monde de l'éducation et est membre du Haut Conseil de l'évaluation de l'école.
L'extrait
Dans les lycées généraux, on les aime, les filles de STT, elles sont gentilles, elles sont studieuses, elles sont fréquemment timides et discrètes. Bien sûr, elles sont là parce qu'elles n'étaient pas capables d'aller ailleurs, elles sont là par défaut. Mais sont charmantes, elles sont pleines de bonne volonté, des crèmes, des bonnes pâtes, on en redemanderait pour un peu. Certains professeurs en fin de carrière - et qui ont donc le "droit", vu leur ancienneté, de choisir le gratin- tiennent à souligner qu'ils ont conservé une ou deux classes tertiaires, parce que "ces élèves-là sont attachantes" et, incidemment, parce que "lacharge de préparation et de correction n'est évidemment pas la même..."
Dans les lycées professionnels, le ton est sensiblement différent. Le chef de travaux est fier de ses ateliers, de ses machines. Enthousiaste, et c'est sympathique, il ne vous épargne rien, le dernier coup de peinture, le système de sécurité, les vestiaires, le nouveau robot. Et puis, accompagnant le propos d'un geste vague, il dit : " Là-bas, c'est le tertiaire..." "Là-bas", il n'y a rien à voir, juste des salls de classes semblables à toutes les salles de classes, et des ordinateurs avec une unité centrale, un clavier, un écran et une souris. Circulons.
Quant aux filles qui sont stockées "là-bas", elles sont souvent moins délicieuses, moins timides, moins bonnes pâtes et surtout moins discrètes que leurs homologues de STT. Je les aimes bien, moi, avec leur piercings dans le nombril, leur maquillage incendiaire, leurs hauts de strings furtifs, leurs chevelures longuement élaborées, et cette espèce d'arrogance des perdants dont elles usent et abusent. Elles gueulent, elles rigolent, elles fulminent. Pour la plupart, elles ne voudraient pas être ici, elle n'en ont rien à foutre du secrétariat, tailleur et talons qui claquent, elles se rêvent esthéticiennes, coiffeuses, puéricultrices, top-modèles ou "stylistes" (un mot qu'elles emploient sans en connaître le sens, qui évoque les clips de MTV et des chaines Fashions, l'autre monde, l'autre rive).
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